Focus 2025 : Tunisie

Le temps creuse même le marbre
الدوام ينقب الرخام
Image et mémoire dans l'art contemporain tunisien

en partenariat avec le département de la Seine-Maritime, France

Exposition: Héla Ammar, Asma Ben Aïssa, Meriem Bouderbala, Rafram Chaddad, Chiraz Chouchane, Férielle Doulain-Zouari, Farah Khelil, Amira Lamti
Commissaire d'exposition: Victoria Jonathan

 

"Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre, parce qu’il n’y va pas d’une vertu de compassion ou de charité, mais d’une lucidité nouvelle dans un processus de la Relation. Et si nous voulons partager la beauté du monde, si nous voulons être solidaires de ses souffrances, nous devons apprendre à nous souvenir ensemble."
- Édouard Glissant, Une nouvelle région du monde. Esthétique, I

Présentée pour la première fois à l’Abbaye de Jumièges l’été dernier, cette exposition collective réunit des artistes de la scène contemporaine tunisienne. À l’occasion de Menart Fair, une sélection d’œuvres est présentée à Paris, sous la verrière d’un ancien atelier du Marais. L’exposition explore les liens entre image, histoire et mémoire, à partir de récits intimes, de fragments, d’archives, de gestes du quotidien, et de traditions orales ou populaires. 

Son titre, tiré d’un proverbe tunisien – dont l’équivalent français serait « Goutte après goutte, l’eau finit par creuser la pierre » – évoque la force transformatrice des gestes modestes et répétés. Face à « l’Histoire avec sa grande hache » (Georges Perec), les artistes privilégient les micro-récits, se détournant des narratifs dominants pour sonder les zones d’ombre de la mémoire collective, entre visible et invisible, présence et effacement.

Leur démarche, à la fois plastique et critique, relève d’un travail de fouille : une archéologie sensible qui révèle des réalités multiples, mouvantes et stratifiées. En réactivant des couches oubliées ou marginalisées, ils ne cherchent pas à restaurer un passé figé, mais proposent une lecture vivante du présent, nourrie d’une hybridation des formes : photographie, vidéo, performance, art textile, broderie, peinture sous verre, mosaïque… Les œuvres engagent une expérience sensorielle et matérielle, en dialogue avec des savoir-faire artisanaux souvent relégués par l’histoire de l’art occidentale.

À travers ces formes, les artistes reprennent en main leurs récits, déconstruisent les stéréotypes coloniaux et patriarcaux, rendent visibles traditions et figures minorées, et donnent voix aux luttes sociales, écologiques ou intimes. Enveloppes en calque contenant des archives fantômes, costumes rituels détournés, objets échoués de traversées clandestines, mosaïques incarnant des femmes invisibilisées : chaque œuvre tisse un lien entre intime et politique, passé et présent. Loin d’offrir des certitudes, elles révèlent la nature elliptique de la mémoire, où l’absence et le doute nourrissent autant que les traces.

Cette sélection resserrée prolonge l’esprit de Jumièges : une méditation sur ce qui subsiste quand le vacarme de l’Histoire s’estompe. À l’image de Carthage selon Édouard Glissant – métaphore de la « créolisation » théorisée par l’écrivain martiniquais, auteur d’un recueil de poèmes consacré à la cité antique Le Sel noir  - les artistes affirment une identité relationnelle, en perpétuelle recomposition, traversée de frictions, de sédimentations et de tensions fécondes. Une réponse sensible à la fragmentation du monde.



Héla Ammar (Tunisie) 

Asma Ben Aïssa (Tunisie) 

Meriem Bouderbala (Tunisie) 

Rafram Chaddad (Tunisie)  

Férielle Doulain-Zouari (Tunisie) 

Farah Khelil (Tunisie) 

Amira Lamti (Tunisie) 

Tahar Mguedmini (Tunisie) 

Gouider Triki (Tunisie)